jeudi 13 mai 2010

#4 Les lyrics du jeudi /// Jacques Brel


Jacques Brel - Sans Exigences


(Edward Hopper, Room in New-York)

"Sans Exigences fait partie des 5 dernières chansons écrites par Jacques Brel peu avant sa mort, en 1977. Les jugeant pas assez abouties, et physiquement trop faible pour les terminer, il avait écrit à Eddie Barclay pour en interdire la diffusion. Presque a cappella, elle a finalement été diffusée au grand public en 2003 avec la sortie de la compilation Infiniment, comprenant également les 4 autres chansons."

Comme le laissait sous-entendre le philosophe Maine de Biran, le mouvement, exercé par la volonté, est à la base de la vie. Sans mouvement, c'est la mort. D'après les lois de la physique, les particules élémentaires comme les électrons occupant l'atome qui forme la matière, sont en mouvement perpétuel. Si les idées philosophiques et les lois de la physiques tendent vers ce principe, alors pourquoi ne serait-il pas utilisable dans le domaine plus familier des relations sentimentales?

Dans le texte de Jacques Brel, le problème est en tout cas implicitement posé. De penser que les choses sont à jamais acquises dès lors qu'elles le sont, on oublie de les entretenir, on les laisse s'asphyxier elles-mêmes, peu à peu s'éteindre, et mourir.

Fataliste sans penser qu'il peut arriver quelque chose, résigné sans avoir conscience du problème, intérieurement amorphe, profondément passif, à tel point qu'il ne laisse apparaître aux yeux de l'autre aucune envie propre, et par là aucun amour, ni aucune espèce de jalousie, jusqu'à paraître "sans besoin" dans la relation.

En "protégeant ses moindres pas", il ne veut rien ordonner, rien demander, ne pas déranger, laisser à l'autre une liberté d'action et de décision intégral. Parce qu'il l'aime. Mais le paradoxe c'est qu'en exigeant rien, il laisse sous-entendre qu'il n'attend rien et qu'il ne veut rien, presque qu'il n'aime pas.

A ne montrer aucune volonté, on laisse alors s'immiscer l'idée d'un désintérêt profond envers la personne, qui conduit forcément tôt ou tard vers une rupture. Mais le plus tragique, c'est qu'il est dû essentiellement à cette passivité qui le détruit de l'intérieur, puisque l'amour est constamment présent dans cette chanson, mais il reste uniquement ancré dans ses pensées qu'il n'ose partager. Par manque d'habitude, par lâcheté peut-être, il laisse partir l'être aimé. Et de n'avoir jamais rien montré, il lui laisse croire qu'il n'en est aucunement touché...


Je n'étais plus que son amant
Je vivais bien de temps en temps
Mais peu à peu de moins en moins
Je blasphémais ma dernière chance
Au fil de son indifférence
J'en voulais faire mon seul témoin
Mais j'ai dû manquer d'impudence
Car me voyant sans exigences
Elle me croyait sans besoins

Je protégeais ses moindres pas
Je passais mais ne pesais pas
Je me trouvais bien de la chance
A vivre à deux ma solitude
Puis je devins son habitude
Je devins celui qui revient
Lorsqu'elle revenait de partance
Et me voyant sans exigences
Elle me croyait sans besoins

L'eau chaude n'a jamais mordu
Mais on ne peut que s'y baigner
Et elle ne peut de plus en plus
Que refroidir et reprocher
Qu'on ne soit pas assez soleil
L'eau chaude à l'eau chaude est pareille
Elle confond faiblesse et patience
Et me voyant sans exigences
Elle me voulait sans merveilles

De mal à seul, j'eus mal à deux
J'en suis venu à prier Dieu
Mais on sait bien qu'il est trop vieux
Et qu'il n'est plus maître de rien
Il eût fallu que j'arrogance
Alors que tremblant d'indulgence
Mon coeur n'osât lever la main
Et me voyant sans exigences
Elle me croyait sans besoins

Elle est partie comme s'en vont
Ces oiseaux-là dont on découvre
Après avoir aimé leurs bonds
Que le jour où leurs ailes s'ouvrent
Ils s'ennuyaient entre nos mains
Elle est partie comme en vacances
Depuis le ciel est un peu lourd
Et je me meurs d'indifférence
Et elle croit se couvrir d'amour.

11 commentaires:

  1. Fantastique ! Merci énormément pour ça !

    RépondreSupprimer
  2. de rien Antonin! ça fait plaisir!

    RépondreSupprimer
  3. C'est l'une des rares chansons de Brel que je ne connaissais pas d'avant.

    Le texte est très juste, cette chanson me parle :)

    Merci pour l'explication de texte

    RépondreSupprimer
  4. Je viens de découvrir cette chanson sur la page FB de mon ex, j'ai presque envie de la remercier ;)

    RépondreSupprimer
  5. Fan de Brel, je découvre cette chanson. Merci pour les explications. Blog enrichissant.

    RépondreSupprimer
  6. je croyais connaître toutes les chansons de Brel
    je découvre celle là
    et quelle découverte ! elle est magnifique
    merci

    RépondreSupprimer
  7. Je connaissais tout Brel ... avant celle la ... merci vivement la prochaine

    RépondreSupprimer
  8. J'avais commandé les Marquises à sa sortie et je ne connaissais pas cette chanson terrible et magnifique . Merci bcp pour ce décryptage enrichissant.

    RépondreSupprimer
  9. Merci pour le partage je ne la connaissais pas cette belle chanson 🎶 qui me fait penser à une autre dont le titre est « Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient »

    RépondreSupprimer